Boris Vian - Les instruments à Vian
Touche à tout de génie, Boris Vian s’est
passionné pour la musique. Trompettiste accompli, animateur
de clubs de jazz, il a aussi composé des livrets d’opéra,
rédigé parmi les premiers rocks français avec
Henri Salvador et signé plusieurs centaines de chansons,
dont « Le Déserteur ».
« Emplissez-vous les poches, éditeurs véreux,
producteurs pistonnés, combinards patentés. Châtrez
et tailladez, esclaves de service, et continuez à dire comme
le bourreau : ²Si je ne le fais pas, c’est un autre qui le
fera². Votre raisonnement est très juste, parce que
vous êtes des médiocres ; on en trouvera sûrement
mille comme vous. Mais si Brassens ou Trenet s’arrêtent d’écrire,
ce n’est pas un autre qui fera ce qu’ils faisaient… et c’est pour
ça qu’au nom de tous ceux qui refusent, aussi longtemps qu’ils
en auront la force, le règne de la platitude, je me permets,
très respectueusement, de vous cracher à la gueule
en toute amitié. » Tirée de « En Avant
la Zizique », œuvre inspirée de son expérience
professionnelle dans l’édition musicale, cette citation de
Boris Vian pourrait s’appliquer à sa vie entière.
TOUCHE A TOUT
Plus de quarante ans après sa mort, Boris Vian reste,
et devient même de plus en plus, une figure marquante des
années 1940-50. Son sens de l’absurde, sa créativité
débridée, son refus du prêt-à-penser
militaire ou ecclésiastique nourrissent l’écrivain,
l’ingénieur, l’acteur, le peintre, l’inventeur, le pataphysicien,
le musicien, le traducteur, le provocateur, le touche à tout
à toute heure, qui s’est lié à Jean-Paul
Sartre, Raymond Queneau, Eugène Ionesco ou encore Jacques
Prévert.
Passé à la postérité grâce à
ses romans et poésies (« L’Ecume des jours »,
« L’Automne à Pékin », « L’Arrache-cœur
», « Je voudrais pas crever »…), Boris Vian s’est
aussi adonné à la musique avec frénésie.
OUTRAGE ETC.
Avec d’abord le jazz. Il se jette sur la trompette à 17
ans, en 1937. Et se distingue, intègre l’orchestre de Claude
Abadie durant la guerre, tourne, tandis que l’écriture l’occupe
déjà sérieusement.
Ses premières chansons remontent à 1944, même
si c’est seulement dans les années 50 que sa rage de compositeur-parolier
prendra toute son ampleur. A la fin de la guerre, le jazz débarque
en force avec les troupes américaines. Boris Vian commence
à chroniquer dans le magazine Jazz Hot.
En 46 paraît « L’Ecume des jours ». Puis, sous
le pseudonyme de Vernon Sullivan, le pastiche de roman noir «
J’irai cracher sur vos tombes ». Scandale. Outrage aux bonnes
mœurs, hurlent les pisse-froid. Et premiers ennuis sérieux
avec la justice pour Vian.
Avec son frère Alain, il anime une boîte de jazz, Le
Tabou, qui devient l’un des lieux phares de Saint-Germain-Des-Prés.
Mais les problèmes cardiaques obligent Boris à poser
la trompette.
BE-BOP
Puis il délaisse le Tabou pour le Club de Saint-Germain-des-Prés,
nettement plus select, où il accueille Charlie Parker, Miles
Davies ou Duke Ellington.
Côté chanson, son premier succès remonte à
1949 : « C’est le be-bop », interprété
par Henri Salvador. Le théâtre l’accapare («
L’Equarrissage pour tous » en 1950, « Le goûter
des généraux » en 51…), il traduit énormément
(des romans noirs, du théâtre -Strindberg en tête-,
de la science-fiction -notamment « Le Monde des à »
de Van Vogt), écrit, écrit encore, façonne
une comédie musicale, écrit toujours. Il intègre
aussi en 1952 le délirant Collège de pataphysique,
science du virtuel et des solutions imaginaires découverte
par Alfred Jarry.
LE DESERTEUR
Son anti-militarisme heurte de front la guerre d’Indochine. En
1954, il compose « Le Déserteur ». Nouveaux ennuis
avec la justice. A noter qu’une première version du morceau
comporte la strophe « Prévenez vos gendarmes / que
j’aurai une arme / et que je sais tirer », remplacée
en fin de compte par « Prévenez vos gendarmes / que
je n’aurai pas d’arme / et qu’ils pourront tirer. »
L’année suivante, Vian assure ses premiers tours de chant
à Paris et enregistre l’album « Chansons possibles
et impossibles ». « Le Déserteur » y figure:
le disque est interdit. La tournée en province est émaillée
d’incidents, des spectacles sont annulés.
SALVADOR ET GAINSBOURG
Encore précurseur, Vian s’attaque au rock’n’roll. Avec
humour. Il écrit des textes sur des musiques d’Alain Goraguer,
Michel Legrand ou Henri Salvador. Il réhabilite aussi la
java, à sa façon (« La java des bombes atomiques
», « La java des chaussettes à clous »
-sur les gendarmes).
La fin de sa vie est plus que prolifique, avec des chansons pétries
d’humour et de contestation : « J’suis snob », «
Je bois », « Les joyeux bouchers », « La
complainte du progrès », « On n’est pas là
pour se faire engueuler », « Le petit commerce »…
De plus en plus, Vian travaille pour des interprètes, notamment
au gré de ses responsabilités chez les éditeurs
de musique Philips, Barclay et Fontana.. Il multiplie les collaborations.
Il signe au total 400 titres, dont 80 avec Henri Salvador. Et même
« Quand j’aurai du vent dans mon crâne », avec
Serge Gainsbourg. Ou encore des livrets d’opéra, dont «
Fiesta », sur une musique de Darius Milhaud.
Rideau. Boris Vian meurt le 23 juin 1959 lors d’une projection de
« J’irai cracher sur vos tombes », dont il désapprouvait
l’adaptation à l’écran.
EN VRAC
« Les musiciens qui se fabriquent des théories pour
les illustrer ensuite sont généralement aussi emmerdant
que les écrivains à thèses. » (Jazz Hot)
« L’intérêt que le public français
prend parfois aux chansons américaines vient souvent de ce
qu’il ne comprend pas les paroles. » (Jazz Hot)
« Je vais vous parler littérature malgré
votre mépris de la culture ; vous avez entendu parler du
père Balzac ? C’est assez gros pour vous, Balzac ? Vous êtes
loin, bien loin, mais même de loin, Balzac ça se voit
non ? Vous préférez Shakespeare ? Bon. Prenons Shakespeare.
Mais il a laissé des choses. Des œuvres… Il est très
très mort. Tout ce qu’il y a de plus pourri. Liquéfié.
Même, ON NE SAIT PAS SI C’ETAIT LUI. Ah ! là c’est
beau ! Pire que mort ça, hein ! He bien, il y a ses pièces,
voilà. Et ça, ça ne sera jamais mort. Et Armstrong,
il peut jouer la Marseillaise au tuba demain matin sous les fenêtres
à Vincent, se déculotter devant l’Arc de Triomphe,
épouser Jacques Fath ou la Begum, scier la colonne Vendôme
avec une fourchette bleue et manger des huîtres tout nu en
courant le long des Tuileries, il aura quand même gravé
trois cents faces (au moins) inoubliables. Et ça, ça
ne sera jamais mort. » (Jazz Hot)
ECOUTER
Outre ceux déjà cités, des dizaines d’artistes
ont interprété l’œuvre de Boris Vian: Jacques Higelin,
Juliette Greco, Yves Montand, Serge Reggiani, Bernard Lavilliers,
Les Frères Jacques, Maurice Chevalier, Magali Noël…
Pour se plonger dans ce répertoire hors normes, une bonne
solution : « Boris Vian et ses interprètes »,
édité chez Polygram, qui regroupe des chansons chantées
par Vian lui-même et d’autres artistes. Le coffret de 6 CD
annonce 124 titres et 57 interprètes, la version réduite
double CD 40 titres et la version cassette 33 titres, dont 19 chantés
par Vian.
REFERENCES
Toutes les citations sont tirées de « Boris
Vian en verve », éditions Pierre Horay, 1970, riche
recueil de propos déjà édités ou inédits.
Biographie et bibliographie, où nombre d’informations
de cet article ont été puisées, sont consultable
sur le site de l’émission « Un siècle d’écrivains
» : www.france3.fr/fr3/ecrivain/vian.html
Consulter aussi www.total.net/~elmarto/
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