L'auteur François Martinez (1932-2023) - dramaturge et romancierFrançois Martinez

roman et théâtre

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Chava (théâtre), de François Martinez - Editions L'Harmattan (Théâtre des Cinq Continents)

extraits de Chava,
de François Martinez


éditions L'Harmattan
collection Théâtre des Cinq Continents (2002)

 

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" Ils sont morts "

    Petit-Fils
- Pourquoi est-ce que tu racontes partout que mon père est mort et que ma mère aussi ?
    Chava
- Parce qu'ils sont morts. Morts et enterrés !
    Petit-Fils
- C'est pas vrai !
    Chava
- C'est tout comme.
    Petit-Fils
- Ma mère n'est pas morte. Elle est en prison.
    Chava regarde autour d'elle, l'air inquiet.
    Chava
- Ferme ta bouche
    Elle regarde de nouveau autour d'elle. Puis elle recommence à sortir les chiffons du sac.
    Chava
- Un mouchoir. Deux mouchoirs. Un châle. Un chemisier. Trois mouchoirs.
    Petit-Fils
- Et mon père n'est pas mort non plus.
    Chava regarde autour d'elle, tout en continuant à compter ses hardes, comme si elle psalmodiait.
Il se bat dans la montagne. Et il reviendra après la guerre.
    Chava
- La guerre est finie, pauvre idiot.

 

Les mécréants

    Chava
- Des mécréants, il y en a beaucoup ?
    Moine, mettant la fleur dans sa besace
- Oui. Partout.
    Chava
- Mais des républicains, il n'y en a plus ?
    Moine, impatient
- Il y en a, il y en a. Les âmes ont été contaminées. Il faut les purifier.
    Chava
- Et vous êtes là pour ça, pas vrai ?
    Moine
- Oui. Nous tous. Avec Frère Anselmo, qui nous guide
    Il prend une pomme dans sa besace et il commence à la croquer devant Chava et Petit-Fils qui le regardent avec envie. Au fond de la scène, on voit passer le haut d'un chariot bâché. Le chant des moines continue.
    Chava, geste vers le fond de la scène
- Et ça, qu'est-ce que c'est ?
    Moine, parlant la bouche pleine
- Matériel.
    Chava
- Ah !
    Moine, Idem
- Encensoirs, croix bénites, chapelets, reliques, livres saints, brochures, images saintes, films pour cinéma.
    Petit-Fils, comme se réveillant au mot "cinéma".
- Des films ? Du cinéma ? Est-ce que je pourrai y aller ?
    Chava lui donne une tape sur la tête.
    Chava
- Excuse-le. C'est un pauvre déshérité de Dieu. Il n'a pas toute sa tête.
(A Petit-Fils) A genoux ! Baise la main du frère !
    Petit-Fils s'agenouille et baise la main que le moine lui tend à contre-cœur. Puis il se relève.
    Chava
- Où c'est que vous couchez, la nuit ?
    Le moine donne des signes de plus en plus visibles d'impatience. Les moines ont quitté la scène et on entend leur chant de plus en plus loin.
    Moine
- Les bonnes âmes pourvoient à notre repos.
    Chava
- Ah !
    Moine
- Dieu merci, il y a encore des chrétiens en Espagne.

 

 Les moines

   Chava, pour elle-même
- Les bigotes vont à la messe et les moines chantent des vêpres dans les rues du village. Après, ils auront un bon souper et un bon lit. Nous, nous aurons le ravin, comme d'habitude, et le ventre vide, si ça continue. Les moines, eux, savent y faire. Mais nous, on n'est pas des moines, pas vrai ? Voilà pourtant une dame qui a su faire son chemin dans la vie. Partie de rien, la voilà mère maquerelle. Les putes lui obéissent au doigt et à l'œil et les officiers sont à ses pieds. Je suis sûre que le curé et l'archevêque aussi. Forcément, c'est elle qui a les clefs ! (Un temps) Si on sait bien s'y prendre, elle nous donnera à manger et même un coin pour dormir cette nuit. Suis-moi et laisse-moi faire.

 

Ermenegilda

    Chava
- Oh, oh ! (Après un silence) Et les femmes ?
    Ermenegilda
- C'est moi qui les ai choisies.
    Chava
- Toutes ?
    Ermenegilda
- Toutes. Ce sont de bonnes putains. Elles méritent de se payer du bon temps. Les putains aussi ont gagné la guerre.
    Chava
- Comment c'est, là-haut ?
    Ermenegilda cligne de l'œil, l'air salace.
- Ils ont des sofas et des tapis, doux comme de la soie. Les meilleurs vins et de la musique.
    Chava
- J'en bave d'envie.
    Ermenegilda
- Ils ont combattu pour le Christ. C'est justice !
    Chava, même ton.
- C'est justice !

 

Les funérailles du général

     On entend, dehors, les tambours et les trompettes jouant une marche funèbre. Petit-Fils court vers le fond de la scène et regarde, coulisse de droite.
    Petit-Fils, excité
- Ils arrivent ! Je vois des soldats, des drapeaux, des tambours et des clairons !
    Le bruit des clairons et des tambours est tout proche, à présent. Bruit aussi de foule au dehors. Une bigote, toute de noir vêtue, entre coulisse de droite. Le fossoyeur et Pablo sont sortis, au fond de la scène.
    Bigote, apercevant Chava
- Qui es-tu ? Tu n'es pas d'ici.
    Chava
- Je suis venue pour les funérailles.
    Bigote
- Nous n'avons pas besoin de toi pour enterrer le général.
    Chava, se lamentant
- Ah ! Seigneur, un général si brave et si courageux. Mort dans la fleur de l'âge !
    Bigote, la regardant
- Il était si bon, Seigneur !
    Chava
- Et il ne reculait jamais devant l'ennemi ! A tel point qu'il en est mort !
    Bigote, jetant un coup d'œil sévère à Chava
- Il était bon et juste.
    Chava
- Et si généreux. Il ne regardait pas à la dépense !
    Bigote
- C'était un bon chrétien ! Tous les jours, il allait à la messe.
    Chava
- Alléluia ! (Un temps) Que lui est-il arrivé ?
    Bigote
- Il est mort d'une blessure reçue à la guerre.
    Chava
- J'avais entendu dire qu'il était tombé sous sa jument !
    Bigote
- Le général n'était pas dans la cavalerie !
    Chava
- Alors, il aura été écrasé par un char d'assaut ! Amen !